Les trois premières éditions de la Biennale de Lyon – 1991, 1993 et 1995 – s’inscrivent dans une perspective largement historique de laquelle sont tirées les problématiques, enjeux et thématiques des expositions. La première, intitulée L’Amour de l’Art, choisit de faire l’état des lieux de la création en France. Biennale délibérément à contre-emploi, elle constate que depuis l’exposition dite « Pompidou » (Paris, 1969), aucun projet d’envergure de ce type n’a été imaginé en France. Or, depuis 1981, l’impulsion nouvelle donnée à l’art contemporain sur l’ensemble du territoire, avec la création des FRAC, des centres d’art et la restructuration des musées, l’institution a pratiqué une importation massive d’oeuvres, contribuant en cela au désenclavement français, mais participant du même coup au déséquilibre de la balance culturelle puisque l’exportation artistique française s’avère inopérante. Quelques années avant la triennale parisienne, la Biennale de Lyon, en ouverture, souhaitait explorer « la force de l’art » en France. Sur une scénographie de Patrick Bouchain, 69 artistes, chacun disposant d’un espace équivalent de 120m² fermé par une porte, exposent 69 pièces inédites : Arman, Cesar, Robert Filliou, Pierre Soulages, Erik Dietman, mais aussi Fabrice Hybert, « La vérité » (Dominique Gonzalez-Forester, Pierre Joseph, Bernard Joisten et Philippe Parreno), Pierre & Gilles, Sophie Calle, ou encore Alain Sechas… Cette première édition accueille 73 000 visiteurs en quatre semaines et réalise une audience européenne. Elle matérialise le potentiel de Lyon et de son public et elle est une étape considérable dans la mise en place de la structure pérenne de la Biennale. La seconde Biennale de Lyon, en 1993, surfe également sur le contre-emploi : elle prend à contre-pied la création internationale en ne correspondant pas aux critères normalisés des biennales internationales. Un projet ambitieux : sept ans avant la fin du siècle, il s’agit de réexaminer l’art du 20e siècle à la lumière du couple « Dada / Fluxus ». L’objet de cet opus, à partir de la question des limites posées par les avantgardes historiques (objet manufacturés, readymade, monochrome, Art et vie…) consiste à problématiser la question des liens entre art visuel, poésie, champ sonore, gestuelle et performance. Cette Biennale, intitulée Et tous ils changent le monde (Julian Beck), construit un itinéraire inédit de Marcel Duchamps, Kurt Schwitters, Kasimir Malévitch à Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, John Cage, William S. Burroughs, Ilya Kabakov, Bill Viola, Bruce Nauman, Imi Knoebel, David Hammons. En 1995, à la faveur du 100e anniversaire du cinéma (Frères Lumière), la Biennale retrace l’histoire courte, qui en une trentaine d’années, va des premières expériences artistiques sur téléviseur (Wuppertal 1963), à l’interactivité et au haut débit. Le Musée d’art contemporain, inauguré pour l’occasion, coproduit avec la Biennale un ensemble de pièces historiques disparues : Nam June Paik, Vito Acconci, Dan Graham, Peter Campus, Dennis Oppenheim, ainsi que de nouvelles productions de Rirkrit Tiravanija, Dumb Type, Carsten Höller, Douglas Gordon, Tony Oursler, Pierre Huyghe.
Global
En 1997, Harald Szeemann assure le commissariat de la Biennale de Lyon et accepte de travailler sur la problématique de L’Autre. C’est selon lui le « das », le neutre auquel il empruntera son titre. Harald Szeemann fait de la Biennale de Lyon l’un des enjeux majeurs de la recomposition des critères en cette fin du 20e siècle, en confrontant des pièces monumentales (Katarina Fritsch, Chris Burden, Richard Serra) à des travaux plutôt associés à l’art brut. Il fait d’ailleurs du Facteur Cheval, régional de l’étape, l’emblème de « L’Autre », qui ouvre sur Chen Zhen aussi bien que sur Emery Blagdon, Eugène Von Bruenchenhein ou Elisar Von Kupffer, dont les oeuvres flirtent avec un fort mysticisme. Et il présente pour la première fois en Europe un large ensemble d’artistes chinois, expérience qu’il reconduira avec le succès que l’on sait deux ans plus tard à Venise. 1997 marque une nouvelle étape dans l’histoire de la Biennale : Harald Szeemann démontre que face aux structures fortement historiques et charpentées que sont La Documenta, la Biennale de Venise, ou Münster, Lyon peut largement tirer son épingle du jeu en affirmant sa volonté de penser en terme global (le terme n’ayant pas encore à l’époque acquis son statut de lieu commun) et de pluriculturalisme.
2000 : la Biennale de Lyon se tient exceptionnellement une année paire pour honorer les trois zéros. Au seuil du troisième millénaire, la 5e édition s’interroge sur la validité de l’art et des multiples applications du terme à l’échelle de la planète, notamment lorsqu’il est plaqué sur les productions matérielles d’ères culturelles qui échappent aux critères occidentaux. Cette Biennale s’intitule Partage d’exotismes et traite de la question à la fois traditionnelle et centrale des liens entre universel et relatif. Un comité d’anthropologues parmi lesquels Marc Augé et Alban Bensa, est associé au projet artistique. Le commissariat est confié à Jean-Hubert Martin qui, quelque 10 ans auparavant, commettait Les magiciens de la terre, objet de toutes les polémiques. 140 artistes sont invités. La Biennale ouvre avec une œuvre commune de Sol LeWitt et Ester Mahlangu, et rassemble notamment des artistes tels que Navin Rawanchaikul, Takashi Murakami, Cai Guo Qiang, Georges Adeagbo, Gedewon, Kallatte Parameswara Kurup, John Goba.
2001 : retour aux années impaires, la Biennale ne dispose que d’un an. Une équipe de sept commissaires composent Connivence, qui traite de la convergence entre les arts : jeux vidéo, chorégraphie, photographie, cinéma, littérature, musique avec des artistes comme Jérôme Bel, Marco Berrettini, Xavier Le Roy, William Eggleston, Adrian Piper, Steve McQueen, Kolkoz, Robert Wyatt…
Temporalité
En 2003, C’est arrivé demain marque la nouvelle implantation de la Biennale en plusieurs lieux, parmi lesquels la Sucrière, entrepôt industriel réhabilité, et le Musée d’art contemporain. Le commissariat est confié au Consortium de Dijon (Xavier Douroux, Franck Gautherot, Eric Troncy + Robert Nickas et Anne Pontégnie) qui ouvre ainsi une trilogie consacrée à la question de la temporalité. Cette problématique, en partie liée à la multiplication et au succès considérable des biennales dans le monde (plus de 110 à l’époque), présente une image actualisée de l’actualité artistique internationale, à la manière d’un flux permanent. Lyon s’interroge légitimement sur ce phénomène qui semble générer une actualité incessante et infinie, dans le cadre d’un régime d’historicité produit artificiellement pour et par le système d’exposition. Sont ainsi accueillis parmi d’autres Mike Kelley & Paul McCarthy, Tim Head, Katarina Fritsch, Steven Parrino, Larry Clark, Yayoi Kusama, Catherine Sullivan, Bridget Riley, Ugo Rondinone…
En 2005, le tome 2 de cette nouvelle trilogie est assuré par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Il s’intitule L’Expérience de la durée et associe les oeuvres de la collection du Musée d’art contemporain : La Monte Young, Terry Riley, James Turrell à des pièces spectaculaires : Martin Creed, Kader Attia, John Bock, Erwin Wurm, Kendell Geers ; mais redécouvre aussi Tony Conrad, expose Robert Crumb, et réalise une pièce monumentale de Daniel Buren qu’acquiert le Musée d’art contemporain.
En 2007, avec L’histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée, Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist convient 50 commissaires du monde entier à choisir une oeuvre qui incarne la décennie. C’est un enjeu qui porte sur la question de l’actualité et c’est un pari sur l’histoire. Parmi les artistes invités : Josh Smith, Kelley Walker, Urs Fischer, Tomas Saraceno, Hilary Lloyd, Nathaniel Mellors, Sheela Gowda, Ryan Gander, Tino Sehgal, Wade Guyton. Le prix Only Lyon est décerné à Seth Price, avec un accessit pour Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla.
Transmission
En 2009, la 10e édition s’intitule Le spectacle du quotidien et elle est signée Hou Hanru. Un thème global, qui propose de réfléchir sur le pourquoi de l’art au sein de notre monde spectaculaire et tente de retrouver le lien très proche entre la création et la vie de chacun. Cette Biennale se construit sur 4 sections : La magie des choses, L’éloge de la dérive, Vivons ensemble et Un autre monde est possible. Les artistes présentés - tels que Tsang Kinwah, Latifa Echakch, Lee Mingwei, Maria Thereza Alves, Shilpa Gupta, Jimmie Durham, Agnès Varda… - examinent la réalité de façon critique et imaginent de nouveaux codes sociaux.
La 11e Biennale de Lyon est intitulée Une terrible beauté est née, titre extrait d’un poème de W.B. Yeats relatant l’histoire tragique d’une revendication d’autonomie territoriale, celle de l’Irlande face à la Grande Bretagne. Placé sous le commissariat de Victoria Noorthoorn, l’oxymore « terrible beauté » tente de cerner dans la « modernité » de l’actualité internationale les revendications et créations d’artistes s’inscrivant à la fois dans la continuité et la discontinuité de notre monde globalisé, et ce qui lui reste de beauté. 78 artistes sont exposés avec des créations majeures, parmi lesquels Augusto da Campos, Robert Kusmirowski, Marina de Caro, Jorge Macchi, Tracey Rose, Lynette Yiadom-Boakye, Cildo Mereiles, Robert Filliou, Eva Kotatkova, Eduardo Basualdo, The center for historical reenactments, ou The arctic perpective initiative.
En 2013, l’exposition internationale, placée sous le commissariat de Gunnar B. Kvaran, présente l’oeuvre de 77 artistes de 21 pays et s’intitule Entre-temps… Brusquement, Et ensuite. 5 lieux accueillent l’exposition internationale : la Sucrière, le macLYON, la Fondation Bullukian,l’église Saint-Just et la Chaufferie de l’Antiquaille. Le projet artistique de Gunnar B. Kvaran est particulièrement tourné vers l’avenir : 80% des oeuvres exposées sont des créations, 73% des artistes ont moins de 40 ans. La Biennale de Lyon 2013 rassemble et présente des artistes du monde entier qui travaillent dans le champ narratif et expérimentent, à travers leurs oeuvres, les modalités et les mécanismes du récit. L’exposition met ainsi au premier plan l’inventivité dont font preuve les artistes contemporains pour raconter autrement des histoires neuves, en défaisant les codes narratifs mainstream, les mises-en-intrigue prêtes à l’emploi.
Moderne
Intitulée La vie moderne, la 13e Biennale de Lyon rassemble des artistes issus de 28 pays qui explorent le caractère paradoxal de la culture contemporaine dans différentes régions du monde : Kader Attia, Yto Barrada, Hicham Berrada, Michel Blazy, Céleste Boursier-Mougenot, George Condo, Cyprien Gaillard, Anthea Hamilton, Camille Henrot, Liu Wei, Andreas Lolis, Daniel Naudé, Ed Ruscha, Tatiana Trouvé… Leurs oeuvres reflètent les modalités à travers lesquelles les multiples héritages de l'ère moderne influencent aujourd'hui encore nos manière de voir et de penser, ainsi que les scénarios et les questions marquantes de nos vies quotidiennes. Près de 210 000 visiteurs ont pu explorer cette Biennale. Pour l'édition 2017, Thierry Raspail et Emma Lavigne, commissaire invitée, invitent plus de 80 artistes du monde entier à explorer, toujours en suivant le fil rouge de la modernité, le thème des "Mondes flottants". Shimabuku, Marcel Duchamp, Cildo Meireles, David Tudor, Peter Moore, Terry Riley, Jill Magid, Jorinde Voigt, Hans Richter, Yuko Mohri, Jean Arp, Ernesto Neto, Julien Creuzet, Fernando Ortega, Richard Buckminster-Fuller, Julien Discrit, Camille Norment, Hector Zamora, Céleste Boursier-Mougenot, autant d'artistes dont les oeuvres permettent aux visiteurs de partir à la rencontre de la poésie de l'art. Des projets qui remettent en cause l'abstraction de la modernité européenne afin d'en réévaluer la portée, à l'échelle du monde. Un vent de soulèvements libertaires et de fulgurances poétiques souffle sur cette 14e édition, ouverte jusqu'au 7 janvier 2018.
Pour l’édition 2019, Thierry Raspail invite le Palais de Tokyo au commissariat de la 15° Biennale d’art contemporain, avant de quitter la Biennale de Lyon.